par Sarah Lamarche
Jessica Renaud a une pratique artistique pluridisciplinaire alliant photographie, écriture, vidéo, art performance et installation. C’est en parallèle de ses études en arts visuels à l’Université de Sherbrooke qu’elle s’est engagée dans ce compagnonnage en littérature à l’automne 2022.
Jessica avait alors entre les mains un manuscrit entamé en 2018 qu’elle qualifie de « rapaillé ». Nourri à la fois par son histoire personnelle et par une série d’entretiens réalisés auprès de femmes sans enfant, le texte « hésitait entre récit, essai et poésie » pour exprimer le refus de la maternité et tout ce qu’il entraîne.
« J’avais le désir de trouver une forme à ce projet-là », m’explique Jessica, qui s’est tournée vers l’autrice Lynda Dion pour cet accompagnement littéraire parce qu’elle sentait leurs univers proches et qu’elle admirait le travail formel qui imprègne ses livres.
« C’était un très bon match », confirme Lynda, qui n’a que de bons mots à dire sur la collaboration. « Jessica est une vraie artiste, une vraie créatrice, disciplinée, investie et prête à tout entendre. Ç’a été très stimulant pour moi aussi. »
Tisser des liens, défaire des nœuds
Pendant leurs rencontres, elles portaient leur attention sur le texte, bien sûr, mais en faisant place aussi à une variété d’autres voix qui s’invitaient dans les discussions. Elles m’en parlent comme d’une filiation d’autrices : Annie Ernaux, Sara Danièle Michaud, Vanessa Courville, Sylvie Cotton et plusieurs autres qu’elles ont lues ou relues pour informer leur travail. Grande lectrice déjà, Jessica a profité des recommandations de Lynda pour inscrire sa pratique d’écriture dans une famille de lettres encore plus étendue. Les livres de Lynda et les grandes entrevues qu’elle réalise pour la radio étaient aussi parmi les voix qui habitaient Jessica pendant son écriture.
Le manuscrit n’a pas seulement progressé dans les sept mois du compagnonnage : il y a eu des cahots sur le chemin qui ont donné à Jessica l’impression de reculer. « En novembre, il y a eu un nœud », me dit-elle. « J’ai présenté quelque chose à Lynda et elle m’a dit très gentiment que ça ne fonctionnait pas. J’ai pris une pause à ce moment-là, mais après, il y a eu comme une épiphanie, la vraie forme du texte est apparue et le livre s’est écrit en quelques mois. »
L’urgence d’écrire était tellement grande que Jessica a mis ses études sur pause pour une session. L’effort a payé, ajoute Lynda, visiblement impressionnée par le chemin parcouru et par l’œuvre qu’elle a vue naître. « Il y avait une force dans l’écriture dès le départ, mais c’est capoté ce qu’elle a trouvé comme forme. C’est assez exceptionnel. »
Manuscrit cherche maison
Le jour de notre conversation, Jessica préparait ses derniers envois à des maisons d’édition, sélectionnées minutieusement avec l’aide de Lynda. Elle me fait lire sa lettre de présentation, où on sent sa confiance et sa fierté devant ce travail colossal mené à terme.
Jessica a même déjà entamé un prochain projet, forte de son expérience. « Il y a quelque chose de plus facile au niveau de l’écriture maintenant, comme un sillon qu’on a creusé ensemble pendant le mentorat. » Le lien de complicité créative entre les deux autrices est palpable, même à travers les rectangles stériles de Zoom.
Et parce qu’une artiste pluridisciplinaire ne peut, par nature, que créer dans toutes les dimensions de son art à la fois, Jessica a aussi réalisé d’autres œuvres en conversation avec le récit qu’elle vient d’achever, œuvres qui vivent déjà et nous laissent nous imprégner de son univers, en attendant que le livre trouve sa maison.